Intégrateur dans la vraie vie

Les intégrateurs ont parfois mauvaise presse auprès des corps de métiers attenants (créatifs, développeurs et chefs de projet les premiers). Dogmatiques bornés pour certains, râleurs invétérés pour d’autres, crispés sur d’obscurs préceptes moyenâgeux pour beaucoup. Tiraillés entre leurs beaux principes et la réalité plus prosaïque du terrain, qui sont donc ces animaux schizophrènes à sang chaud ?

Les principes

Les principes, en tant qu’intégrateur, j’en ai plein. J’ai même construit ma vie professionnelle dessus, comme la plupart de ceux de ma race. La sémantique, la séparation contenu/contenant, la non-intrusivité des scripts, les standards, l’accessibilité, la rétro-compatibilité, les performances, vous connaissez la chanson par cœur.

C’est ce qui fait que je prétends faire un boulot de qualité. Mais la qualité dans un contexte de production, c’est quoi en intégration ?

L’idéal

Dans un monde idéal, j’aimerais que tous les sites que je sors soient accessibles AAA et surfables sur Netscape 4. Voilà, c’est clair, c’est très noble et c’est très évident. Mais ça reste un vœu pieux parfaitement vain.

La réalité

Intégrer un site moderne, accessible à tous et rétro-compatible jusqu’à l’Antiquité, ça a un coût. Et ce coût peut rapidement prendre des proportions pharaoniques : dans un contexte de projet commercial dans la vraie vie, il n’est jamais, jamais budgété à la hauteur de ce qu’il devrait idéalement (dans le monde merveilleux du paragraphe précédent).

C’est la raison pour laquelle il arrive que des sites imparfaits sortent encore de nos jours. Et j’ajouterai même (scoop) : TOUS les sites qui sortent de nos jours sont imparfaits.

La cible

Alors je lis ici et là que « la cible de l’intégrateur, c’est le web » ou « c’est les humains ». C’est très honorable, le principe d’universalité, encore une fois moi j’adhère totalement. D’ailleurs je suis aussi pour sauver les bébés phoques et le Darfour.

Mais dans la vraie vie, évidemment, on ne sauvera pas tout le monde sans les moyens qui vont avec. Ces moyens faisant (systématiquement) défaut, que faisons-nous ? On élague, on priorise, on fait au mieux avec les contraintes qui sont les nôtres. C’est là qu’intervient la (vraie) notion de cible.

Une cible, en terme de communication, ce n’est pas « tout le monde ». On ne peut pas parler efficacement à tout le monde, et parfois d’ailleurs ce n’est tout simplement pas l’objectif. Une cible, c’est un groupe identifié à qui on veut s’adresser en priorité, en utilisant si possible les codes qui sont les siens de façon efficace pour qu’il comprenne instinctivement qu’il est directement interpellé.

Une cible, en terme d’intégration dans la vraie vie, ce n’est pas non plus tout le monde (et encore une fois c’est dommage, oui). Dans un contexte de production lambda, on met par exemple systématiquement de côté le support des anciens navigateurs, la seule question pertinente étant de savoir où l’on s’arrête (IE 7 ? IE 6 ? Avant ? Après ?). On peut aussi s’engager à respecter tel niveau d’accessibilité, mais là même question : où s’arrête-t-on ? A ? AA ? AAA ?

En d’autres termes on va se montrer pragmatique, pas par choix mais bien par nécessité, afin de respecter le plus grand nombre d’utilisateurs à la mesure de nos moyens. Et tout cela en résonance avec la cible principale de notre projet courant (qui sera probablement différente de celle du prochain), pour être certain de distribuer ces moyens le plus efficacement et le plus intelligemment possible : en clair nous sommes ici dans une démarche d’optimisation, rien de plus, rien de moins.

Le boulot de l’intégrateur

Le boulot d’un intégrateur avisé, c’est de savoir placer intelligemment un curseur. Un curseur entre toutes les problématiques métier dont il a la charge sur un site et qui constituent son cœur de métier. Et de le placer sciemment en fonction de la pertinence desdites problématiques vis-à-vis du projet sur lequel il travaille, tout en essayant de garder le meilleur niveau de qualité générale. C’est un métier fait de tiraillements et de compromis complexes qui engagent une responsabilité certaine.

Le boulot d’un intégrateur avisé, ce n’est pas de faire passer aveuglément ses dogmes avant l’intérêt du projet. De proclamer, par exemple, que « la créa est moins importante que le poids de la page » et de démolir en conséquence tout le boulot effectué en amont par les designers au prétexte que ses tables de la loi lui professent qu’une page web ne doit jamais dépasser 150 Ko. Les exemples de comportements butés du même tonneau sont aussi nombreux que navrants. Un peu de souplesse ! Un peu de recul !

Un intégrateur avisé respecte l’expertise des autres corps de métier (même les marketeux).

Un intégrateur avisé admet sa moindre compétence sur les domaines dont il n’a pas la charge.

Un intégrateur avisé reconnaît parfois la priorité d’impératifs autres que les siens pour le bien du projet.

Un intégrateur avisé n’est pas appelé en conseil pour créer de nouveaux problèmes mais pour trouver des solutions à ceux qui existent.

En somme, comme le disait très bien Marie dernièrement, il convient de faire preuve de pragmatisme, d’écoute et d’humilité… non seulement entre nous mais aussi envers les autres : ils nous le rendront bien (sauf les graphistes, cette maudite engeance).

Posté le 26 mars 2013

Arf, le champ est vide…

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Commentaires (13)

  • J’allais dire que si c’est prévu en amont pendant le cadrage technique, tu peux le budgeter, maintenant, en effet, je n’ai jamais eu à réfléchir à un site AAA fonctionnant sous Netscape 2. Si cela se présentait nous discuterions effectivement avec notre client pour revoir le scope et délimiter où s’arrête le rendu identique et où commence la dégradation.

    C’est cool que tu parles de la responsabilité que le dev. font. engagent en codant ses sites. Elle est double c’est-à-dire vis-à-vis des internautes mais aussi de ses pairs. Par moment je trouve qu’on est un peu singlant les uns envers les autres, c’est pas nouveau ça dure depuis 10 ans : http://www.uzine.net/article1979.html

    Bref, bon article comme d’hab. !

    Adrien

    #1 par Adrien Leygues

    26 Mar. 2013 à 15h01

  • Bon bin preum’s, je me permets de m’auto-citer : “Si vous n’aimez pas vous impliquer et/ou que l’idée de faire/défendre des choix vous fait peur, ce métier n’est pas fait pour vous”.

    #2 par Nico

    26 Mar. 2013 à 15h05

  • vraie histoire frère

    #3 par kazes

    26 Mar. 2013 à 15h08

  • Et nous passeront sous silence les fois ou ignorer une cible est fait à dessein, pour ne pas encore plus bousculer les esprits fragiles qui n’ont pas encore tout compris au concept de cible.

    #4 par Julien

    26 Mar. 2013 à 15h15

  • Je me suis fais la même remarque que toi en lisant le dernier article de @HTeuMeuLeu, qui par ailleurs à souvent une analyse très juste sur son métier.

    Effectivement, qu’ils soient graphistes, développeurs ou intégrateurs, les gens dogmatiques sont souvent frustrés par la qualité générale des productions en ligne. Les intégrateurs dogmatiques considèrent que l’intégrité de leur code est une priorité, les DA dogmatiques considèrent que leur design doit être respecté au pixel près partout, les marketeurs considèrent toutes leurs opérations de promos prioritaires … et le client se fout de tout ça, il souhaite juste un site qui convertit plus.

    La réalité c’est qu’une conception de qualité, c’est une conception adaptée au contexte du projet.

    J’avais écrit un article il y a 4 ans sur la juste répartition des budgets de conception et tenté de dresser des profils-types de ces répartitions en fonction des différentes natures de projets possibles. (ici: http://demontiers.com/2010/01/typologies-web-et-la-juste-repartition-des-budgets-de-conception/). L’article n’était pas hyper aboutit mais il avait le mérite de dénoncer l’utopie de la sur-qualité, de dénoncer le manque de budget général et d’inviter ses lecteurs à hiérarchiser ce qui était important et ce qui l’était moins dans les projets.

    Merci pour ton article.

    #5 par Laurent DEMONTIERS

    26 Mar. 2013 à 15h29

  • “qui par ailleurs à souvent une analyse très juste sur son métier.”

    ou pas.

    #6 par Julien

    26 Mar. 2013 à 15h36

  • On ressent un peu l’intégrateur doit fermer sa gueule, trouver les solutions et coder parce que tout ce passe en amont dans les cycles en cascade (design, stratégie etc …) bref on subit la division du travail et on fait avec.

    Vivement l’agile 🙂

    #7 par Uxlco

    26 Mar. 2013 à 15h40

  • Merci Christophe, il faut parfois rappeler les réalités du terrain.

    Pour avoir été à la conférence “Responsive Day Out” il y a un mois à Brighton, où les Jeremy Keith et autres gourous du web “bien fait et responsive” parlaient de leur expérience, j’avoue qu’à la fin de la journée je commençais à en avoir assez des beaux discours qui se rapportaient à dire “si votre contenu n’est pas accessible sous Lynx, allez vous faire en…er, vous êtes juste mauvais”.

    N’oubliez jamais que ces gens sont ceux qui crient le plus fort dans une foule de développeurs, pas forcément ceux qui sont les plus pertinents. D’ailleurs nombre d’entre eux n’ont jamais participé à des projets d’envergure, ou encore cachent qu’ils acceptent aussi des boulots alimentaires afin de ne pas écorner leur image d’experts.

    Perso je n’ai aucune honte à l’avouer : je code parfois des styles inline directement sur les éléments dans le HTML (plutôt que créer une classe bidon, pas réutilisable de toute manière), je nomme parfois des classes “.rouge”, et il m’arrive d‘“oublier” de tester dans toutes les versions des navigateurs sous 5 OS différents. Le Monde n’a pas arrêté de tourner, ouf.

    Autre cas : quand on reprend une codebase sur laquelle des développeurs ont fait du “chacun pour soi” pendant 2 ans, l’accessibilité maximale et les performances mobiles ne sont pas forcément à l’ordre du jour. Parfois nos principes je crois qu’il faut les mettre de côté, respirer un grand coup, et tenter de faire quelque chose qui soit déjà “moins mauvais” même si cela n’atteint pas nos standards de divas.

    #8 par Kaelig

    26 Mar. 2013 à 15h41

  • Très bon article ! À chaque lecture je perçois le chemin qu’il me reste à parcourir : je ne suis pas encore un intégrateur avisé mais j’y travaille !!

    Et c’est tout à fait plaisant de lire vos remarques, tout comme celles de @kaelig ( j’apprécie particulièrement l’honnêteté de vos propos respectifs, ‘Le monde n’a pas arrêté de tourner, ouf’ !! ).

    En plus des points cités dans l’article et soulevés par @kaelig et @L_Demontiers, il faut rappeler qu’on évolue très souvent dans un bloc temporel rigide, et que tout ce qui en dépasse est amputé au laser : il faut faire des choix, parfois drastiques, et parfois se résoudre à coder sans trop réfléchir.

    Quel beau métier.

    #9 par Gaël

    26 Mar. 2013 à 16h32

  • @Adrien : Pas nouveau non, merci papa !

    @Laurent : Oui, on se rejoint en effet.

    @Kaelig : Totalement d’accord avec l’intégralité de ton commentaire, merci. Et effectivement, on peine à voir des exemples de code de certains ayatollahs en conditions de prod avec des vraies contraintes, je doute que le résultat soit aussi biblique qu’ils veulent bien le laisser entendre…

    @Gaël : Nous sommes tous des intégrateurs non-avisés, chacun à notre niveau… Ça montre aussi qu’on continue à interroger notre métier, c’est plutôt une bonne chose. Je te renvoie une fois de plus au billet de Marie sur les Intégristes, qui synthétise (si j’ose dire, c’est une sacrée tartine) bien ce que j’en pense !

    #10 par STPo

    26 Mar. 2013 à 17h03

  • Franchement, si le site parfait existait, je crois que ça se saurait. Et si une manière de coder le site parfait en temps limité existait, je crois que ça se saurait aussi.

    Quant aux ayatollahs, qu’ils se coltinent une inté en temps très limité, avec le téléphone qui sonne et 10 autres demandes en même temps, et ils vont être calmés. Ou du dev plongé dans la fureur d’une mise en ligne qui urge et où tu as 3 semaines de boulot à faire rentrer en 3 jours, et on en reparle.

    La Rache, ce n’est pas un concept abstrait, c’est une solution de survie des fois.

    #11 par Nico

    26 Mar. 2013 à 17h35

  • Graphiste et intégrateur (C’est interdit ?), j’ai peur de faire tâche.

    #12 par Shinze

    26 Mar. 2013 à 18h01

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